lundi 30 mars 2009

Les appartements de vilégiature des derniers rois d'Italie, trésors cachés de l'Abbaye de Hautecombe

Saint Pierre de Curtille, arrivée à l’Abbaye de Hautecombe

Me voici au bord du lac du Bourget, face à la cité thermale d’Aix les Bains. L’architecte des monuments historiques, m’a très gentiment invité à venir faire la visite de chantier des travaux de réfection de l’abbaye avec son collègue. L’intérêt d’être avec des gens officiels dans ce genre d’endroit est de rencontrer les responsables de la communauté religieuse, pour qu’ils nous ouvrent les portes des parties cachées du monastère nous révélant ainsi des trésors inestimés par le simple touriste.
Il y a deux manières d’accéder au site ; Par la route et par bateau.
Depuis la capitale savoyarde, le chemin qui accède à Hautecombe est une petite route de montagne sinueuse, accrochée à la falaise qui domine le lac du Bourget. La route en provenance de la cité thermale est moins périlleuse et longe plus simplement l’eau, étant donné l’absence de falaise de ce coté-ci du lac.
A notre arrivée à l’Abbaye, le temps est pluvieux. Cependant, le soleil fait des percées dans les nuages, faisant scintiller le lac face au monastère qui semble bénit des Dieux.

Abbaye de Hautecombe, depuis le lac

La compagnie des bateaux du lac du Bourget et du Haut-Rhône, relie régulièrement les principaux sites situés aux 4 coins du lac. Ainsi Hautecombe est accessible par Aix-les-Bains principalement, mais également par le Bourget du lac et de l’autre coté, par Chanaz, via le canal de Savière qui relie le lac au Rhône.
L’Abbaye est un haut lieu de l’histoire savoyarde et de la Maison de Savoie. Depuis le XIII siècle, Hautecombe abrite les dépouilles de tous les princes de Savoie. Ces princes ont gravi les échelons de la noblesse tout au long des siècles pour en arriver au sommet. Ainsi, simple Comtes dans une vallée savoyarde au milieu du Moyen-Age, les descendants de la Maison de Savoie se retrouvent Rois. Au fur et à mesure des siècles, nombre d’entre eux ont été inhumés ici.
Lorsque la révolution française atteint la Savoie en 1792, l’Abbaye est partiellement détruite. Le Roi Charles Félix restaure le lieu de 1821 à 1831 et en profite pour se faire aménager des appartements avec vue sur le lac. De ce fait, Hautecombe devient le lieu de villégiature de la famille royale d’Italie. En 1946 le dernier roi d’Italie abdique et c’est la fin de la monarchie. La famille royale déchue par en exil à Genève et n’a plus les moyens de garder Hautecombe. Les dépendances royales sont récupérées par les religieux. Aujourd’hui c’est la communauté du Chemin Neuf qui occupe les lieux. Ordre à vocation œcuménique, la communauté est composée de chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes. Les personnes en couple sont même acceptées. Tout ce petit monde vit dans l’ancien monastère et dans les anciennes dépendances royales. Comme beaucoup de communautés religieuses, celle-ci vit refermée sur elle-même et très peu de gens ont accès au monastère et aux lieux de vie de la communauté. Seule l’église de l’Abbaye est ouverte au public. Mais lorsque l’on vient avec les officiels, les portes des jardins secrets s’ouvrent plus facilement…

L’Abbaye, nécropole de la maison de Savoie

L'entrée monumentale richement décorée, donne accès à un sas, avant d’accéder à l’église proprement dite. Ce hall est un rajout à l’Abbaye originelle, ajouté par le Roi Charles Félix lors de la restauration d’Hautecombe.
Dans cette partie repose la dépouille du dernier roi d’Italie Umberto II qui abdiqua en 1946 avant de proclamer la République. Il mourut quelques années plus tard en 1983 et fut inhumé ici avec ses ancêtres.
Aujourd’hui ce n’est pas la nécropole de la Maison de Savoie qui nous intéresse, mais plutôt les trésors de l’ancienne monarchie italienne qui sont encore cachés ici à Hautecombe.

Les trésors cachés de Hautecombe

Outre l’Eglise, ses tombeaux, ses statues, ses vitraux et son architecture auxquels tous le monde à accès moyennant la somme de 2 euros, le site renferme d’autres trésors que seuls les religieux peuvent contempler. Difficile à accepter d’autant plus quand on sait que la totalité du lieu est classé monument historique et que la réfection des toitures se fait en grande majorité avec l’argent du contribuable. Les travaux sont prévus sur plusieurs années et vont s’élever à environs 4 millions d’euros. Bref, espérons un jour que le contribuable aura accès à ces trésors. Pour y avoir eu accès ce jour là, je vous prie de me croire, ces trésors cachés valent le coup.

Trésors cachés :
- (Abbaye et ses tombeaux : seule partie visible)
- Le cloître
- Les jardins face au lac
- La salle de réfectoire
- Les appartements royaux
- Tableaux et mobiliers
- La tour du phare

Les jardins de l’Abbaye d’Hautecombe

Après avoir passé plusieurs portails et portes d’accès avec code de sécurité, on accède aux jardins. Ces derniers constituent une large terrasse surplombant le lac.
Le site de l’implantation des bâtiments de Hautecombe a été parfaitement choisi. En effet, l’Abbaye à été construite sur une avancée de terrain dans le lac, ce qui permet aux deux principales façades du bâtiment d’avoir vue sur le Lac. L’une regarde vers l’Est en direction de la ville d’Aix les Bains. L’autre, qui accueille les appartements royaux et domine ce jardin, regarde vers le sud en direction du Bourget du Lac.
Ces jardins royaux, préservés du monde extérieur et de tout bruit, sont aujourd’hui un lieu de recueillement et de réflexion pour les religieux.


Le cloître de l’Abbaye d’Hautecombe

Autre lieu de tranquillité et de prière, le cloître. Cœur de tous les monastères, cet espace de silence est totalement clos et isolé du monde extérieur pour ne pas perturber les prières des religieux. Vu l’emplacement du site de Hautecombe, sur la cote sauvage et inhabitée du lac du Bourget, ce cloître peu paraître quelques peu abusif. Mais contrairement aux jardins qui offrent un panorama exceptionnel sur les montagnes et le lac, sur lequel passent quelques rares bateaux, ce lieu clos empêche toute distraction, source de déconcentration pour la réflexion des frères et des sœurs.
Entre ces quatre murs et ces arcades, le cloître abrite un petit jardin au milieu duquel trône un puits qui alimentait la communauté en eau potable dans des temps antérieurs. Quelques vieilles pierres constituent un petit musée lapidaire dans un coin du cloître, traces de la longue histoire du site, qui remonte au Moyen-Age.

Le réfectoire de l’Abbaye


Après avoir fait le tour du cloître et des jardins pour observer l’avancée des travaux de réfection
de la toiture, Franck, architecte des Monuments Historiques, profite de la discussion que son collègue et les entrepreneurs sont en train de tenir, pour s’éclipser et me faire visiter les lieux plus en profondeur. Avant de monter à l’étage, situé dans l’aile coincée entre le cloître et les jardins, Franck m’ouvre la porte du réfectoire des moines. Les voix des cuistots mêlées à une odeur de poisson grillé s’échappent des cuisines et se répandent dans la pièce. A la vue de cette salle chargée d’histoire, j’avoue à Franck que je me ferais bien moine pour vivre dans un tel lieu. « Je n’irais pas jusque là ! » me répondit-il en rigolant.

Dans les couloirs de l’Abbaye …

Nous nous dirigeons maintenant vers les escaliers pour accéder à l’étage et à ses appartements royaux. Arrivés au sommet nous sommes surpris par le prêtre de l’ordre. « Bonjour mon père » dit Franck un peu surpris. Après les salutations, je suis présenté à l’homme d’église et nous en profitons pour lui demander s’il est possible de visiter les appartements royaux. Le père acquiesce et nous fait signe de le suivre à travers les couloirs glaciaux du monastère.
Cette aile du monastère abrite les appartements royaux qui sont classés Monument Historique. De ce fait personne n’y réside mais la communauté s’en sert de salle de réception et de réunion.
Les autres dépendances du bâtiment ont été quelque peu modernisées et sont occupées par les religieux. Chacun a sa chambre, ce qui fait un total d’environ 80 pièces. A cela il faut ajouter les chambres d’apparat qui se situent dans l’aile Est et qui sont faites pour accueillir les invités importants. L’une de ces chambres fait l’angle. Cela signifie que quelle que soit la fenêtre par laquelle on regarde, la vue donne sur le lac. C’est la chambre de l’évêque m’apprend Franck. Dans le temps, les évêques devaient faire le tour de leur évêché pour vérifier la bonne application du dogme catholique. Chaque église, chaque couvent et chaque monastère étaient inspectés et devaient disposer d’une chambre pour loger l’évêque. Ce rituel a-t-il toujours lieu aujourd’hui ? Peu être mais il faudrait le demander au père qui ne semble pas très bavard !

Les appartements de la famille royale d’Italie

Enfin nous arrivons au bout du couloir pour nous engouffrer dans un petit vestibule, suivi d’une pièce de petite taille abritant quelques objets tel un vieux piano à queue. Puis, le clou du spectacle, la grande pièce qui devait être la chambre ou le salon royal. Plafonds peints, cheminées, miroirs, tapisseries, parquet cirés … tout est resté intact depuis la fin de la monarchie en Italie. Seul le mobilier manque à l’appel, bien que quelques beaux objets subsistent dans d’autres pièces. Et bien sur, par les fenêtres, toujours cette immanquable vue sur ce paysage de lac et de montagne.
De retour dans une salle annexe servant de salle de réunion, le père me propose un thé qu’il me sert sur un buffet qui avait été préparé en notre honneur. Franck, son collègue et le prêtre ont quelques formalité administrative à régler concernant les subventions des travaux. Je profite de ce moment pour boire mon thé accompagné d’un chocolat. Debout devant la fenêtre je ne me lasse pas d’admirer cette montagne verdoyante qui me fait face et qui plonge soudainement dans le lac. Ce dernier a des reflets argentés grâce aux percées du soleil dans les nuages grisâtres. En dessous dans les jardins, des ouvriers s’affairent à monter un échafaudage pour la suite des travaux. Si le ciel était dégagé je verrais au loin, derrière le lac, les sommets enneigés du massif de Belledonne en Isère.
Mon thé est fini ; il est l’heure de partir.

Les trésors cachés d’Hautecombe

Le piano à queue et un tableau dans une antichambre, illustrent très bien le titre de cet article. Chaque pièce et chaque coin de jardin renferme ses trésors. Des pierres du lapidaire dans le cloître, aux portraits des membres de la dynastie de la Maison de Savoie, en passant par les statues et les objets religieux contenus ça et là, il y a de quoi ouvrir un petit Louvre !
Sur le tableau en question, on aperçoit le Roi de Piémont Sardaigne Charles Albert, connu pour avoir construit le pont éponyme communément appelé pont de la Caille au-dessus des Usses, qui permet de relier Annecy à Genève. C’est lui également qui fonda en 1836 la ville d’Albertville, qui accueilli les jeux olympiques d’hiver en 1992.
De nombreux autres tableaux illustrent les membres de la Maison de Savoie. Parmi eux, des filles des rois de France avec qui les Ducs de Savoie aimaient bien se marier. En échange de quoi, les rois de France mariaient des duchesses savoyardes. C’est ainsi qu’en 1536, François I roi de France, se sent chez lui à Chambéry lorsqu’il occupe la Savoie, car il est le fils de Louise de Savoie.

De la même manière, les épouses des princes de Savoie :
- Bonne de Bourbon en 1355 est la sœur du Roi de France Philippe VI de Vallois
- Yolande de France en 1452 est la sœur de Louis XI et fille de Charles VII
- Christine de France en 1619 est la fille de Henri IV

Titres de noblesse obtenus par les princes de Savoie (chronologie) :
- Comtes de Maurienne en 1032
- Comtes de Savoie environ 1200
- Ducs de Savoie en 1416
- Roi de Piémont Sicile et de Jérusalem, 1713
- Roi de Piémont Sardaigne, 1718
- Roi d’Italie, 1870

Dénominations successives des territoires contrôlés :
- Comté de la Maurienne et le Mont Cenis
- Etats de Savoie (vers 1400, de Neuchâtel à Nice et de Lyon à Turin = toutes les Alpes)
- Royaume de Piémont Sicile
- Royaume de Piémont Sardaigne
- Royaume d’Italie
Capitales successives :
- Chambéry, environ 1300
- Turin, 1563
- Rome, 1870

La grange batelière

En repartant, tout comme en y arrivant par voie d’eau, on ne manquera pas de remarquer ce bâtiment massif. Datant du XII siècle tout comme l’Abbaye, ce bâtiment agricole servait de remise pour les céréales et les fourrages des bêtes. Les moines qui vivaient de l’agriculture, acheminaient leurs récoltes par voie d’eau. Ce mode de transport était beaucoup plus pratique que les routes qui étaient souvent dans un état lamentable et très périlleuses dans la montagne qui domine l’Abbaye. Les bateaux arrivaient avec leur cargaison et se mettaient le long du mur pour décharger. A cette époque les pieds du bâtiment trempaient dans l’eau. Les moines déchargeaient les embarcations depuis un balcon en bois avec un système de monte charge. Ce balcon a été aujourd’hui remplacé par une passerelle métallique. Cela permet de se souvenir de ce détail mais également d’assurer l’accès et la sortie de secours de la grange qui sert actuellement de salle des fêtes et que les normes de sécurité imposent, m’avoue Franck. Même si le niveau des eaux du lac a baissé, la partie avant du bâtiment a toujours les pieds dans l’eau. Un canal permet aux bateaux d’accéder à un garage situé juste en dessous de la Grange. Cette installation rappelle étrangement les entrées des palais vénitiens.

Le phare, le plus mystérieux des endroits

Si les portes de l’Abbaye m’ont été ouvertes, un lieu reste encore un mystère pour moi.
Le phare avait un rôle de simple phare traditionnel dans le passé : il annonçait la cote aux embarcations de pêcheurs. Le roi Charles Félix établi à Hautecombe une fondation de droit sarde, au profit des moines cisterciens qui occupait les lieux. La Fondation de Charles Félix comportait une obligation pour les communautés installées, de sauvetage des naufragés du lac. D'où la construction de cette tour à l'arrière de la chapelle Saint-André. Néanmoins ce phare servait surtout de lieu de contemplation à la reine Marie-Christine qui s'y était fait installer un boudoir, réplique de son bateau royal. On dit que les murs et le sol sont couverts de boiserie et reconstitue la poupe du navire. La vue sur l’étendue d’eau qui lui fait face, donnerait l’impression de naviguer. Malheureusement, le jour de ma visite, on m’a dit que des bâches recouvraient les boiseries pour les protéger des travaux. En effet, le sommet du phare était entouré d’échafaudages rendant l’accès à la tour impossible.
Un dernier regard sur le lac avant de partir et mon esprit se met à divaguer sur le mystère de la tour : Les religieux de la communauté du chemin neuf seraient-ils les gardiens d’un précieux secret ? Que peut bien contenir cette tour ? Qui sait ; peut être le Saint Graal n’est-il plus au Louvre depuis que Dan Brown a révélé au monde entier sa localisation dans son « Da Vinci Code » !
(archives du 5/06/07)