mercredi 19 août 2009

Industrie de la Vallée de l'Arve

La vallée de l’Arve et son industrie : de l’horlogerie au décolletage

Le 12 et 15 mai prochain, se tiendra à Lausanne, la 3ème édition du salon international de l’EPMT. Dédié aux micro-technologies et se tenant simultanément avec le salon professionnel de l’horlogerie et de la Joaillerie, l’édition 2009 de l’EPMT accueillera pour la première fois un pavillon français. Ce pavillon, lié à la Chambre France-Suisse pour le Commerce et l’Industrie (CFSCI), réservera une grande place à l’industrie microtechnique de la Vallée de l’Arve.
Cette vallée savoyarde, est considérée comme le fleuron de l’industrie microtechnique française après avoir fait partie intégrante pendant de longues années, de l’espace économique suisse. Comme tous les foyers horlogers de suisse, elle dispose de sa propre histoire qui peut en certains points paraître tellement similaire à celle des vallées suisses.

Les origines de l’horlogerie dans la Vallée de l’Arve

Pierre Judet, excellent historien de l’université de Grenoble, est un spécialiste de l’histoire industrielle de la vallée de l’Arve. Il y attribue l’implantation de l’horlogerie, à la famille Ballaloud. Originaire du Valais, les Ballaloud se seraient implantés dans le Faucigny au début du XVII ème siècle. Dés 1620, il semble que ce soit Claude Ballaloud qui crée le premier atelier d’horlogerie de la vallée. Quelques années après, son petit-fils Claude-Joseph, natif de Saint-Sigismond petit village non loin de Cluses, ayant acquis la fibre horlogère, va à Nuremberg pour parfaire son apprentissage.

A cette époque, les Savoyards sont un peuple de voyageurs. Paysans pendant les beaux jours, la vallée est une terre pauvre qui oblige bon nombre de ses habitants à migrer dans les centres urbains pour trouver du travail pendant l’hiver. Les petits boulots qu’ils pratiquent alors, sont à la base de mythes bien connus de nos jours tels que le petit savoyard ramoneur ou le colporteur.

Après diverses occupations de la France et de l’Espagne, la Savoie, territoire trop éloigné de Turin sa capitale, est délaissée du Royaume de Piémont Sardaigne qui participe très peu au développement de la région. C’est grâce aux initiatives de personnages locaux tel que Ballaloud que la zone va pouvoir prendre son essor et apporter une certaine prospérité aux habitants de la vallée.

Vers 1749, Ballaloud a largement répandu les techniques horlogères au sain de la vallée. Le clergé local qui voit dans les mouvements migratoires un risque de contamination aux idées de la Réforme, soutient fortement le développement de cette activité et participe à sa propagation durant tout le XIX ème siècle. La société opère alors une véritable mutation. Les populations se sédentarisent et c’est l’ère des paysans-horlogers. Certains créent leur atelier et abandonnent l’activité agricole. Comme pour favoriser cet essor, en 1754 le traité de Turin reconnaît définitivement l’indépendance de Genève et confirme la liberté du commerce. Les échanges avec la république calviniste vont se développer, faisant de cette ville et de ses horlogers la capitale économique et le partenaire privilégié de la vallée de l’Arve. Mais Genève, soucieuse de conserver son monopole, voit mal l’indépendance horlogère de Cluses qui s’impose de plus en plus comme un véritable laboratoire technique pour la petite vallée.

Le fantasme de la montre :

Bridés par la Suisse et devenus à la fois totalement tributaires de son économie, les horlogers de la petite vallée, vont voir naître en eux un sentiment d’infériorité. En effet, jusqu’à présent, la vallée de l’Arve n’est qu’un fournisseur de pièces ; les horlogers genevois se réservant le privilège de monter la montre complète. Ainsi, dès 1787 naît le fantasme de la montre complète chez les horlogers savoyards.

Les chamboulements de la Révolution française, donnent beaucoup d’espérances parmi les horlogers de la vallée. En 1792 la Savoie passe sous le giron de la France et les habitants de la vallée de l’Arve nourrissent secrètement l’espoir de voir Cluses nommée capitale horlogère de l’empire. Mais en 1807 Emmanuel Lipmann offre une montre chronomètre à Napoléon et Besançon vole la vedette à Cluses. Genève est rattachée à la France en 1797. De ce fait il n’y a plus de frontière politique entre la capitale économique et la vallée de l’Arve. Les échanges commerciaux sont facilités et la vallée n’arrive toujours pas à s’extraire de la tutelle genevoise ; le fantasme de la montre persiste.

Tout rentre dans l’ordre au niveau politique en 1814. Genève redevient une république indépendante en intégrant la confédération helvétique. La Savoie quant à elle, redevient sarde en 1815 après les discussions de Paris concernant un éventuel rattachement de la Savoie du nord à Genève. Cela n’aurait pas été pour déplaire aux habitants de la vallée de l’Arve, car cette conséquence politique à de graves répercutions au niveau de l’économie locale. La politique protectionniste de Turin, rend les échanges avec la Suisse difficiles et l’industrie de la zone est fortement affaiblie. Les horlogers savoyards doivent trouver de nouveau débouchés, chose difficile à réaliser lorsque l’on sait que leur activité est liée depuis toujours à l’économie genevoise. Malgré la barrière politique et religieuse, le Faucigny fait partie intégrante du système économique suisse.

Pour effacer les traces françaises et l’impression d’abandon que les Savoyards éprouvent depuis un certain temps vis à vis de leur capitale, les souverains de Piémont Sardaigne se lancent dans une politique de grands travaux et soutiennent le développement de l’économie de la zone. En 1848 l'Ecole Royale d'Horlogerie de Cluses est créée par décret royal signé par Charles-Albert. La qualité de l'enseignement prodigué aux élèves procure à l'Ecole une notoriété internationale.

En 1825, un suisse du nom de Armand Rossel, achète à Cluses un vieux moulin au bord de l’Arve. Il y installe ses ateliers et se lance dans la fabrication de boites à musique. L’établissement qui accueille aujourd’hui le musée d’horlogerie de Cluses devient à partir de cette date et au fur et à mesure de ses différents propriétaires un véritable laboratoire des techniques et un modèle pour l’industrie horlogère de la vallée.

Malgré l’implication des rois de Piémont Sardaigne, le fief originel de la Maison de Savoie reste le parent pauvre du royaume. Encore une fois, le sentiment d’abandon refait surface. En 1860, pressentant les évènements, cette fois-ci c’est tout le Chablais qui est favorable à un rattachement à la Suisse. Cavour négocie l’unité italienne avec Napoléon III en sacrifiant la Savoie qui devient entièrement française. Pour contenter le Chablais, une zone franche est mise en place tout le long de la frontière suisse. Cette zone permet de réengager les échanges économiques avec Genève et l’arc jurassien.

En 1857 un italien issu de l’école d’horlogerie devenu impériale, fabrique à Cluses les premières fraises à tailler les pignons. En 1869 Carpano s’associe avec le Suisse Jaccottet, nouveau propriétaire du moulin de Cluses. Ils se lancent dans la fabrication de pignons et de roues. En 1876 ils mécanisent les premiers leur système de production. L’ère de l’industrialisation moderne débute ici à la fin du second empire et au début de la III ème République. En même temps, les prémices du décolletage sont lancés. Toute l’industrie de la vallée tend à s’orienter vers ce genre de production toujours à destination de la Suisse.

Les premiers mouvements sociaux :

En cette fin de XIX ème siècle et en corrélation avec la révolution industrielle, les idées socialistes commencent à se propager. Le monde horloger en a la primeur puisque bons nombres des fondateurs de ce mouvement sont jurassiens. En 1972 le congrès international des socialistes se réuni à Saint-Imier et Genève accueille ce même congrès à plusieurs reprises dés 1866, après la proclamation de la Première Internationale. C’est à Genève notamment que le congrès vote le passage du temps de travail à 8 heures par jour.

Dans la vallée de l’Arve, la période est très favorable au développement de l’industrie. Beaucoup d’élèves qui sortent de l’Ecole d’horlogerie, montent leur entreprise. Certaines prospèrent et se développent rapidement. La pluriactivité qui était pratiquée depuis toujours, tend à disparaître. Progressivement, les horlogers républicains prennent le pouvoir dans un monde encore profondément rural. Les premières tensions sociales naissent dans la vallée en même temps que les premiers syndicats d’ouvriers horlogers commencent à voir le jour, au tout début des années 1900. Ainsi se mettent en place les dispositifs de la lutte des classes.

La fuite des patrons vers Annemasse :

Les tensions sociales atteignent leur paroxysme en 1904 lorsque les frères Crettiez ouvrent le feu sur les ouvriers de leur usine. 3 manifestants sont tués et une quarantaine blessés En représailles les ouvriers incendient l’usine.
Cet événement prend une ampleur nationale voir internationale, lorsque Aristide Briand prend la défense des ouvriers lors du procès où les 4 frères Crettiez sont condamnés à la prison. Cet événement a profondément marqué les habitants de la vallée, qui en évoquent encore le souvenir de nos jours. Il a pour conséquence également la fuite des patrons vers Annemasse et l’étiquetage de Cluses comme ville « rouge » pour plusieurs décennies.

Charles Poncet devient directeur de l’école d’horlogerie et redonne un nouvel élan à la branche horlogère. L’école porte aujourd’hui son nom. Mais en 1910 l’activité entre en récession suite à l’importante mécanisation des horlogers suisses qui achètent de moins en moins de pièces aux savoyards.

Emancipation de la Vallée grâce au décolletage :

La guerre apparaît comme une aubaine pour l’industrie de la vallée. Elle marque véritablement un tournant de cette dernière qui va abandonner l’horlogerie proprement dite pour s’orienter définitivement dans le décolletage. Les commandes d’Etat liées à l’industrie de guerre de l’Etat français, permettent de relancer l’économie de la vallée et de s’extraire de la tutelle genevoise. Cet événement, encore plus que la guerre en elle-même, est certainement le plus important pour les industriels de la vallée qui pour la première fois ne sont plus tributaires de l’économie suisse. Pour la première fois, la Vallée de l’Arve s’intègre dans l’économie française. Désormais frontières politiques et économiques correspondent.

Par conséquent, en 1918, la zone franche est littéralement supprimée ne laissant d’autre choix à la vallée que le débouché français pour son économie. Mais avec la fin de la guerre, les commandes d’Etat n’arrivent plus et l’industrie entre à nouveau dans une période de difficultés. La reconversion vers le décolletage s’opère durant toute la période d’entre deux guerres, non sans difficultés. Les grèves d’Annemasse en 1936, marquent véritablement le retour des mouvements sociaux qui paralysent entièrement l’industrie.

C’est encore une fois la guerre qui vient redonner une bouffée d’air à l’industrie de la vallée. En 1938, la France commence à se réarmer. Les commandes affluent dans les usines de décolletage et ce pendant toute la période de la guerre. Bien évidemment, dés 1940 les donneurs d’ordres changent, mais les industriels ne pensent qu’à une seule chose : sauver l’industrie de la vallée de l’Arve en gardant ses usines ouvertes sur place et les ouvriers dans les ateliers. Si les industriels ne collaborent pas, les ouvriers risquent le STO et les usines la fermeture et la délocalisation de l’outil de production en Allemagne.

Cette attitude ambigüe des industriels de la vallée, permet cependant de relancer rapidement la machine de guerre au bénéfice de la France lors de la libération. Au sortir de la guerre, cela permet également de relancer l’économie française plus facilement que si les usines avaient été fermées.

Dés 1946, on constate un grand boum des petites industries. Les progrès techniques et l'apparition de nouveaux secteurs industriels obligent les petits ateliers à adapter leurs compétences. Les productions s'orientent vers différents marchés tels que l’armement, l’automobile et les cycles, l’électricité, la téléphonie et tant d’autres encore.

Mais c’est véritablement l’industrie automobile en plein essor qui prend le relais sur les commandes de guerre, ce qui assure à la Vallée de l’Arve une période de grande prospérité. Bon nombre de composants de la fusée Ariane sont fabriqués dans les usines de la vallée ce qui fait entrer son industrie au titre des fleurons de l’industrie française. Les techniques du décolletage ne cessent d'évoluer jusqu'à l'avènement de la mécatronique.

Depuis quelques années les problèmes rencontrés par l’industrie automobile ont mis un coup d’arrêt à cette période de prospérité. Encore une fois, l’industrie de la vallée est devenue totalement tributaire de ses commanditaires. Les marques automobiles françaises détenant un quasi-monopole sur leurs fournisseurs, imposent des prix de plus en plus bas, obligeant ainsi les usines à se restructurer et à se délocaliser en chine et en Europe de l’Est. Certains patrons, sous la pression et pour faire face à un avenir incertain, font appel à des capitaux étrangers. Les actionnaires une fois majoritaires des entreprises, fixent des taux de rentabilité tellement élevés, qu’il ne reste plus aucun moyens aux usines de s’autofinancer et de renouveler leur matériel, si bien qu’elles deviennent obsolètes.

Depuis quelques années, l’industrie du décolletage et des microtechniques est en crise dans la vallée de l’Arve. La conjoncture actuelle n’est pas pour arranger la situation. Malgré quelques firmes comme Somfy, Sibel et Eaton qui se portent bien et au renom international, la vallée de l’Arve semble toujours être considérée comme un des principal pôle mondial du décolletage.En cette période de crise mondiale, nous avons beaucoup entendu dire que les industries se réfugient dans des valeurs sûres, afin de limiter la prise de risques. Et si les difficultés rencontrées ces dernières années dans la vallée de l’Arve étaient une bonne occasion de renouer avec l’horlogerie ? Le Salon de l’EPMT nous le dira peut être.
Article publié dans le Journal Suisse d'Horlogerie :